Éditorial du Droit – édition du jeudi 23 mars 2006
Stratégies à repenser ?
par Pierre Allard
Remettre en question le bilinguisme dans les milieux franco-ontariens risque toujours de provoquer une levée de boucliers, mais le temps ne serait-il pas mûr pour une réflexion collective à cet égard ? Le débat est amorcé avec vigueur à l’Université d’Ottawa et, sur le plan municipal, Casselman est devenue cette semaine la troisième municipalité de l’Est ontarien à se doter d’un règlement sur l’affichage bilingue.
Le congrès récent des enseignants franco-ontariens a mis en lumière le déclin des effectifs scolaires francophones et des taux d’assimilations fort préoccupants. À l’Université d’Ottawa, le nombre d’étudiants francophones stagne alors que la proportion d’anglophones ne cesse d’augmenter. Et dans les municipalités à forte majorité francophone comme Clarence-Rockland, La Nation et Casselman, les francophones se butent souvent à un affichage unilingue anglais.
La toile de fond est claire : une seule des deux langues officielles est menacée, et vous savez laquelle. Pourquoi alors cette obstination d’un grand nombre des nôtres à ne miser que sur le bilinguisme comme moyen de défense du français ? Promouvoir le bilinguisme après tout c’est faire la promotion des deux langues, et donc aussi de l’anglais. Si par exemple Alfred-Plantagenet venait à adopter un règlement semblable à celui de Casselman et des autres, obligerait-on les nouveaux commerces d’Alfred, où plusieurs n’affichent qu’en français, à angliciser leurs affiches ?
Un débat de fond sur cette question a eu lieu dans le domaine scolaire dans les années 60. Les francophones ontariens ont cessé de réclamer des écoles bilingues, véritables foyers d’assimilation, pour revendiquer plutôt un réseau complet d’écoles de langue française. Aujourd’hui ce réseau est acquis – sauf à l’université – et personne ne songerait un instant à le remettre en question. On ne voudrait plus d’écoles bilingues, tous ayant reconnu la nécessité de créer des espaces scolaires francophones, même à l’université.
La question se pose maintenant dans nos municipalités. L’Est ontarien demeure, avec quelques coins du Nord ontarien, la seule région où les Franco-Ontariens forment de solides majorités et vivent dans une société largement francophone. Pourquoi ne pas l’affirmer ? Au lieu de demander aux commerces d’afficher en anglais et en français, pourquoi ne pas tout simplement légiférer une présence du français, sans pour autant limiter la présence de l’anglais et d’autres langues ?
Dans l’ouest de la ville d’Ottawa, où les anglophones forment l’immense majorité, personne ne s’offusque de voir des vitrines commerciales unilingues anglaises. De même façon, dans une municipalité comme Casselman, Alfred ou Hawkesbury, rien ne devrait empêcher les commerces de pouvoir s’afficher en français seulement ou en français d’abord. Il en va différemment bien sûr des institutions municipales, provinciales et fédérales, celles-ci ayant à juste titre l’obligation d’offrir des services bilingues.
La question est donc posée et mérite qu’on y pense. Dans le contexte actuel, soit celui d’une menace constante à la survie et à l’essor du français, le bilinguisme intégral reste-t-il toujours notre meilleure stratégie ?
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