À entendre le Commissaire fédéral aux langues officielles et à voir les documents du gouvernement canadien, notamment le « Rapport sur les Consultations du gouvernement du Canada sur la dualité linguistique et les langues officielles » de 2008, on a l'impression que la vaste majorité des Canadiens - d'un bout à l'autre du pays - sont favorables au bilinguisme dans l'ensemble du Canada, et même dans leur province. Selon ce document, le soutien au bilinguisme oscille autour de 65%, soit près des deux tiers, au sein de la population anglophone du Canada. L'appui est beaucoup plus élevé chez les francophones, tant au Québec que dans les provinces où ils sont minoritaires.
Et pourtant, à chaque fois qu'un différend linguistique se manifeste (comme la cause Thibodeau au sujet des services en français à Air Canada, ou n'importe quelle proposition visant à renforcer la situation du français au Québec), on constate dans les médias anglo-canadiens - et pas seulement dans les foyers traditionnels d'hostilité, cela s'étend aux pages plus élitistes et tolérantes du Globe and Mail - des débordements de colère haineuse, avec parfois des milliers de commentaires souvent violents et racistes contre les francophones en général et les Québécois en particulier, mais aussi contre le bilinguisme.
Durcissement de l'opinion ?
S'agit-il d'une frange extrémiste plus volubile que la majorité silencieuse, ou assiste-t-on depuis quelques années à un durcissement de l'opinion publique anglo-canadienne à l'endroit de tout ce qui est, en partie ou en totalité, francophone? Des bribes d'information glanées ça et là dans l'actualité récente laissent croire que derrière un appui très mou, et peut-être toujours majoritaire, au principe même du bilinguisme, il se dresse présentement un sentiment croissant et agissant d'intolérance fondé à la fois sur le vieux fond de racisme anti-français au Canada anglais et sur une exaspération devant les demandes incomprises de droits linguistiques et de pouvoirs accrus, principalement en provenance du Québec.
Les deux solitudes
La semaine dernière, alors qu'on nous lançait de façon plutôt tendancieuse quelques résultats d'un sondage Léger Marketing de l'Association d'études canadiennes, et notamment l'allégation que les deux tiers des Québécois considèrent le drapeau canadien comme source de fierté, peu de gens se sont donnés la peine de lire l'ensemble des résultats du sondage et de comparer les différences souvent marquées entre les « deux solitudes » du pays.
Les sondeurs interrogent notamment les gens sur la politique des langues officielles et le bilinguisme comme source de fierté au Canada, et donnent pour l'ensemble du pays un « indice de fierté » de 84% chez les francophones...mais de seulement 51% chez les anglophones. Cet indice baisse par ailleurs à 43 ou 44% dans les provinces des Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta). J'avoue que les questions du sondage me paraissent au départ mal formulées et ambiguës et que cela pourrait déformer jusqu'à un certain point les conclusions, mais les résultats peuvent toujours servir à quantifier l'écart entre anglos et francos, ainsi qu'entre le Québec et le reste du pays.
Le bilinguisme, pas très important...
Le sondage Léger Marketing demande notamment aux répondants d'indiquer quels symboles, institutions ou enjeux sont considérés comme « très importants ». Or, seulement 16% des anglophones disent considérer la politique des langues officielles et le bilinguisme comme très importants (contre 44% des francophones). Par contre le multiculturalisme est jugé très important par 30% des répondants anglophones (seulement 15% chez les francophones). Et ces écarts déjà impressionnants deviennent énormes quand on regarde l'indice de fierté envers des institutions comme la monarchie (48% chez les anglos - c'est pas féroce, M. Harper, mais beaucoup « mieux », selon votre point de vue, que l'appui de 14% des francophones), ou la guerre de 1812 (73% chez les anglophones, 30% chez les francophones).
Et dans la région de la capitale fédérale...
Récemment, la même association (Association d'études canadiennes) a réalisé un sondage sur la situation linguistique dans la région d'Ottawa et Gatineau (la région de la capitale fédérale). Ici, contrairement, à Saskatoon ou Victoria, les anglophones sont en contact fréquent avec des francophones et avec la langue française (le tiers de la région est francophone, et plus de la moitié de la population de 1 200 000 connaît le français). Or, dans cette région « privilégiée », au dire de certains, sur le plan linguistique, seulement 42% des anglophones considèrent le bilinguisme de la capitale comme une source de fierté (contre 85% des francophones). On se croirait dans les Prairies...
Le sondage de la région de la capitale fait par ailleurs ressortir les erreurs de perception ou le déficit d'information de la population anglophone. Seulement 22% des répondants anglophones croient le français est en situation de déclin dans la région d'Ottawa (alors qu'il est facile de démontrer, sur le plan démographique, la régression du français) et à peine 23% se disent préoccupés par la condition de la langue française. Ces perceptions et attitudes sont sans doute conditionnées par les médias anglophones de la capitale, peu sympathiques aux francophones et au Québec.
Gratter sous la surface
Quoiqu'il en soit, quand on gratte un peu sous la surface, on s'aperçoit que l'appui de principe donné au bilinguisme n'est que ça... un appui de principe. Quand vient le temps de passer aux actes, quand vient le temps de prendre des mesures efficaces pour protéger le français, les appuis s'effritent. Déjà, en 1990, il y a plus de 20 ans donc, dans un sondage CBC Globe and Mail, plus de 67% des Ontariens anglophones et plus de 75% des anglophones des trois provinces des Prairies estimaient qu'on en avait assez fait ou même trop fait pour protéger les droits linguistiques des francophones hors-Québec. Quand on considère toutes les injustices subies par ces derniers et l'ampleur des dégâts à réparer, l'attitude des répondants anglophones est révélatrice...
Il existe sans doute un fort contingent d'anglophones francophiles au Canada, heureusement, mais quand ça compte, ils sont rarement majoritaires.
Mais c'est mieux que rien. Restons optimistes.
RépondreSupprimer