L'empire médiatique de Gesca est devenu le royaume de la censure, du moins quand les actualités risquent de porter ombrage ou de faire la lumière sur ses desseins d'en finir avec la civilisation du journal imprimé et de mettre la hache dans ses quotidiens régionaux, dont l'ex-mien, Le Droit.
Les rares nouvelles ou analyses susceptibles de nous renseigner à ce sujet paraissent dans Le Devoir, à Radio-Canada, dans les pages de Québecor et, par bribes, dans les médias alternatifs et les chaînes de radios et de télé privées. Dans les quotidiens du groupe Power/Gesca (La Presse de Montréal, Le Soleil de Québec, Le Droit en Outaouais, La Tribune de Sherbrooke, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, Le Quotidien du Saguenay et la Voix de l'Est de Granby), c'est presque invariablement motus et bouche cousue…
Compte tenu des enjeux primordiaux - survie des quotidiens régionaux, droit du public à l'information, numérique vs papier, liberté d'expression, etc. - la population desservie par ces médias devrait être scrupuleusement tenue au courant de l'évolution de l'ensemble du dossier. Pour une forte proportion du public, le journal quotidien version papier demeure la première source d'information et si ce dernier tait une nouvelle, ses lecteurs et lectrices n'en sont pas informés.
Près de huit mois après avoir été «congédié» pour la publication d'un texte de blogue intitulé «Le silence assourdissant des salles de rédaction» (http://bit.ly/S9UxqL), je rencontre encore des gens dans la région qui se demandent pourquoi je n'ai pas récemment signé d'éditoriaux. Comme Le Droit a censuré toutes les nouvelles concernant mon départ précipité, ainsi que les réactions de la FPJQ et de lecteurs, et que le journal évite de parler de son déclin vers le numérique (autre que pour vendre des fables de renouvellement), le public n'en sait pas grand-chose…
Or, demain, 22 janvier, une rencontre importante aura lieu à Trois-Rivières! Par la plume d'un excellent journaliste du Devoir, Stéphane Baillargeon, on a appris ces jours derniers que tous les syndicats des quotidiens de Gesca présenteront à Guy Crevier, le grand patron de Gesca, leurs demandes en vue du renouvellement des conventions collectives échues le 31 décembre dernier. Selon le texte du Devoir, cette rencontre servira aussi «à baliser l'intégration des quotidiens à la plateforme pour tablettes numériques La Presse+».
Voilà une bien mauvaise nouvelle quand on apprend, plus loin dans le texte, que les journaux régionaux, y compris Le Droit, deviendront des «boutons de commande sur la grande plateforme montréalaise» et que la moitié des emplois dans ces quotidiens s'envoleront en fumée… Ainsi, quand André Desmarais, co-grand patron de Power Corporation, annonçait en mai dernier la disparition à court ou moyen terme des quotidiens régionaux de sa chaîne, il ne blaguait pas. «Le plus vite qu'il (Guy Crevier) va s'en débarrasser (des journaux papier), le mieux», dit le texte du Devoir.
Je voudrais bien voir une citation directe de M. Crevier à ce sujet, mais la direction de Gesca a refusé la demande d'entrevue du Devoir. Guy Crevier a-t-il reçu des demandes d'interview de journalistes de ses propres quotidiens? Vu la situation actuelle, j'en doute, et s'il en a reçu, on ne le saura sans doute jamais. Il y a longtemps que la FPJQ aurait dû partir en guerre contre le mur du silence et le climat de répression à l'intérieur de l'empire Gesca, mais c'est presque le calme plat. Et les syndicats de rédactions, surtout celui de La Presse, bénéficiaire actuel des transformations, n'apparaissent guère combatifs, du moins pour le moment.
Il fut une époque où le personnel des rédactions se serait levé devant tant d'arrogance et tant de mépris pour la liberté d'expression et le droit du public à l'information. Mais nous apprenons par le texte du Devoir, en espérant que ce soit faux, que les syndicats n'ont pas même pas l'intention de demander une discussion publique sur l'opportunité de délaisser les versions papier. Il y a d'excellents arguments en faveur de l'imprimé, mais c'est comme si la question était résolue. Hé, l'Internet n'existe que depuis une vingtaine d'années, les tablettes depuis une dizaine, et on va mettre un -30- sur 500 ans de civilisation?
Si au moins les syndicats apparaissaient prêts à lever les boucliers pour protéger l'intégrité des quotidiens régionaux, pour affirmer le droit du public à être informé - vraiment informé - de l'avenir de leur quotidien, pour alerter la population au point de lancer des «SOS Le Droit», «SOS Le Soleil», des SOS partout, on pourrait entretenir quelque espoir. Mais à moins que quelqu'un, quelque part, ne cache très bien son jeu, on ne voit guère d'étincelle de rébellion contre le rouleau compresseur de l'empire.
Quand l'éditeur du Droit, Jacques Pronovost, parle de fierté et de renouvellement en annonçant un format réduit du journal, quelqu'un doit mettre les pendules à l'heure! Quand il écrit que «nous voulons que (Le Droit), cette force régionale d'information, unique et distincte au Québec et dans l'Est ontarien, devienne bien visible pour tous», non seulement insulte-t-il les artisans qui l'ont précédé mais il évite d'évoquer une éventualité bien plus sombre que dévoile le texte du Devoir: un avenir sans papier, sous forme d'un onglet sur La Presse+, avec la moitié du personnel…
Quand on compare les déclarations attribuées aux grands patrons de Power Corp, de Gesca et des quotidiens en cause, quelqu'un désinforme. Qui?
Il est un peu tard pour lancer des SOS mais il y en a un qui presse! Vivement, que le public lecteur, que tous ceux et celles qui ont à coeur l'information régionale se mettent à poser des questions à l'empire et à ses représentants, à demander l'heure juste, à exprimer des opinions, à entretenir un débat essentiel pour le droit à l'information, la liberté de presse et la liberté d'expression. Faut-il rappeler qu'il s'agit là de droits fondamentaux et constitutionnels et que les Power Corp de ce monde doivent en tenir compte!
Quant au silence assourdissant des salles de rédaction…
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