vendredi 8 mai 2015

Langues officielles: un rapport inutile, incompréhensible...


J'ai commenté au fil des ans, de ma tribune d'éditorialiste au quotidien Le Droit, un certain nombre de rapports annuels du Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser (voir quelques liens à la fin du texte). Je suis soulagé de ne pas avoir à le faire cette année, parce que j'aurais eu de la difficulté à rédiger un texte que la direction du journal aurait accepté de publier…

De fait, si j'étais prof et qu'un étudiant me remettait ce rapport annuel 2014-2015 comme projet de dissertation, je le mettrais à la poubelle en lui ordonnant de préparer un texte que je peux comprendre sans avoir à lire entre les lignes, et sans être obligé de me mettre en quête de renseignements essentiels qui en sont omis… Je lui dirais surtout de brosser un tableau linguistique qui se rapproche de la réalité… et non les rosâtres teintes d'un quelconque beau-et-bilingue pays des merveilles…

J'indiquerais à M. Fraser, qui n'a aucune excuse de ne pas savoir ces choses, une série d'éléments dans son rapport qui - faute d'être corrigés - le rendent inutile, voire nuisible.

1. Au coeur du problème, il y a cette manie récurrente de présenter en parallèle, ou comme un reflet dans un miroir, la dynamique linguistique des minorités francophones hors-Québec et celle de la minorité anglophone du Québec. Seule la langue française est menacée dans l'ensemble du pays, y compris au Québec, et seul l'anglais est florissant partout, même au Québec: cela n'apparaît jamais clairement dans ce document d'une quarantaine de pages. Il n'y a aucune symétrie entre la francophonie hors-Québec et les collectivités anglo-québécoises.

J'offre à cet égard deux citations du rapport annuel du Commissaire, qu'on croirait tout droit extraits d'un livre de contes: «Quoique la vitalité des communautés francophones varie fortement d'une région du Canada à une autre, celles-ci ont réalisé d'importants progrès au cours des dernières décennies.» C'est à s'étouffer! La «vitalité»? Parlez-en à Marie-France Kenny, qui vient de crier son désespoir aux Communes. Des «progrès»? Les seuls grands gains depuis les années 1980 ont été des droits arrachés devant les tribunaux, de peine et de misère… contre des gouvernements francophobes et hostiles.

Et la deuxième: «Les communautés anglophones (du Québec) sont aux prises avec (des) défis (et) situations qui entravent leur renouveau et nuisent à leur vitalité…» Renouveau et vitalités «entravés»? Non mais… ça prend du culot! Les chiffres cités dans ce même rapport de Graham Fraser démontrent que la part de 10% d'anglos de souche au Québec continue d'engraisser avec l'apport de 36% des immigrants au Québec qui - même avec la Loi 101 - choisissent l'anglais comme première langue officielle (contre 2% seulement qui choisissent le français hors-Québec). Le Commissaire lit-il les recensements?

2. Le chapitre sur les plaintes au Commissaire des langues officielles est totalement dépourvu de sens. Les tableaux de chiffres qu'on y aligne ne veulent absolument - disons presque absolument - rien dire. Que faut-il comprendre quand on nous indique que 126 plaintes ont été reçues concernant la langue de travail? Sont-ce des francophones qui se plaignent de ne pas pouvoir travailler en français ou des anglophones qui se lamentent à cause de leur environnement de travail unilingue français? Poser la question c'est presque y répondre mais on n'en sait rien en regardant ces mornes statistiques…

On fait état de 320 plaintes concernant les services au public… en anglais ou en français. Non, mais combien de gens vont croire que des citoyens de ce pays ont eu des problèmes à se faire servir en anglais au sein de l'appareil fédéral, même au Québec? Le contraire est plutôt la norme. Mais le rapport n'en dit rien. Des 12 plaintes reçues de l'extérieur du Canada, huit mettent en cause Air Canada. Pensez-vous qu'il s'agit d'anglophones aux prises avec un équipage unilingue français quelque part au-dessus des États-Unis?

Les médias sont beaucoup à blâmer ici. Les journalistes ne se donnent pas la peine d'insister pour savoir si les plaintes concernent la pénurie de services en français ou de services en anglais, ou encore s'il s'agit surtout des francophones qui dénoncent des situations d'unilinguisme anglais au travail… L'an dernier, un texte du Ottawa Citizen indiquait que 85% des plaintes (au moins) provenaient de francophones… Cette année, rien… Personne ne semble s'être informé (si j'ai mal lu je m'en excuse). Mais ce sont là des renseignements essentiels que le Commissaire devrait obligatoirement inclure dans son rapport. S'il ne le fait pas, il faut conclure qu'il ne veut pas le faire…

3.  Un dernier point à soulever. Le cas d'Air Canada, immortalisé par la plainte du couple franco-ontarien Thibodeau qui n'avait pas réussi à commander un 7up en français… La cause, qui a fait le tour des tribunaux, a valu aux Thibodeau un torrent de colère haineuse de milliers d'anglophones (et même de francophones colonisés) du pays… Quoiqu'il en soit, le Commissariat aux langues officielles avait fait sa propre enquête et formulé 12 recommandations à Air Canada pour que celle-ci se conforme davantage aux exigences de la Loi sur les langues officielles.

Encore une fois, ce petit chapitre du rapport du Commissaire est écrit dans un langage Nixonspeak qui ne permet pas, à celui ou celle qui n'est pas au courant de la situation, de comprendre que les services en français sont seuls en cause… Ce qui ressort, cependant, c'est qu'Air Canada n'a «mis en oeuvre de façon satisfaisante qu'une seule de ces 12 recommandations». Et vlan! La réponse d'Air Canada est claire: Take that, Mr. Fraser…  Et la conclusion? «Résultat: les problèmes qui ont été cernés en 2010 persistent encore aujourd'hui…». 

Je pourrais aussi aborder les thèmes de l'immigration (que le Commissaire a ciblé de façon exagérée dans ce rapport et où plane, par rapport au Québec, l'esprit de Lord Durham…), de la langue et de l'identité, mais c'est assez pour le moment.

Un seul mot pour résumer tout ça. Misère...


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- «Notre» Commissaire… - Éditorial Le Droit, octobre 2013 - http://bit.ly/1Rhjafl
- Le Commissaire à la langue officielle - Éditorial Le Droit, octobre 2012 - http://bit.ly/1bB9uLy


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